« – Vous avez deux enfants ? Je comprends… Je crains que vous ne correspondiez pas à notre profil, » lança Alena, maman de deux petits, après son cinquième refus lors d’un nouvel entretien. « Vous allez sans cesse tomber malade, réclamer des arrêts… Pourquoi nous créer de tels soucis ? Nous ne pouvons pas prendre ce risque, nous avons besoin d’un candidat plus fiable. Bonne continuation ! »
« Regarde-toi ! » fulmina sa belle‑mère, Nadejda Petrovna, pour la énième fois. « Jusqu’à quand comptes‑tu rester sans travail ? Tu vis aux crochets de mon fils ! »
Alena avala d’un coup les larmes qui lui brûlaient la gorge et menaçaient de débordement.
« Je cherche du travail ! Mais on ne m’embauche pas parce que je suis maman de deux enfants ! Je fais de mon mieux, vraiment ! »
Nadejda Petrovna souffla avec dédain et claqua la porte sur son passage. Alena se remémora alors le jour où tout avait commencé à s’effondrer. On lui criait déjà :
« Alena, c’est inadmissible ! De telles erreurs dans ce rapport : quelle honte ! » tonne son directeur, Viktor Pavlovitch. « Tu imagines le désastre si nous avions envoyé ça au client ? »
Assise devant lui, Alena serrait les poings sous la table, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes.
« Monsieur, j’aurais tout rendu à temps, mais le service marketing m’a fourni les données en retard, j’ai dû finir le travail la nuit », répliqua‑t‑elle calmement.
« Je ne veux pas d’excuses ! » grimpa-t‑il d’un ton plus haut. « Je veux des résultats ! »
Le monde se mit à tourner autour d’elle, le plafond ondulait, son crâne devint lourd comme du plomb.
« M’écoutes‑tu seulement ?! » hurla le directeur.
« Je… je ne me sens pas bien… » murmura Alena, avant de s’évanouir sur sa chaise.
Elle reprit conscience à l’hôpital : un plafond blanc, l’odeur des antiseptiques, le bip régulier d’un moniteur. Au pied de son lit, Sergeï, épuisé, somnolait.
« Serg… » souffla‑t‑elle.
Il sursauta, la regarda, un sourire soulagé éclairant son visage :
« Alenouchka ! Enfin réveillée ! On a eu si peur ! »
« Que s’est‑il passé ? Pourquoi suis‑je ici ? »
« Tu as fait un malaise au bureau, en plein entretien avec le directeur. Les secours sont arrivés tout de suite. Les médecins parlent de stress aigu et de surmenage… un état pré‑infarctus. »
Deux jours plus tard, de retour chez elle, elle fut accueillie par Kostia, six ans, et Misha, trois ans, brandissant dessins et cartes faites main, tandis que l’odeur des crêpes flottait dans la maison, symbole de réconfort et d’amour.
Le soir, après que les enfants eurent retrouvé Morphée, Alena et Sergeï se retrouvèrent en tête‑à‑tête autour d’une tasse de thé :
« J’ai décidé de démissionner », confia-t‑elle, le regard dans sa tasse. « Avec un patron pareil, je ne tiendrais pas jusqu’à l’infarctus. »
Sergeï posa doucement sa main sur la sienne :
« Tu es sûre ? Quinze ans dans la même boîte, c’est sacré. »
« C’est justement pour ça », répondit-elle, déterminée. « Quinze ans d’humiliations, de travail acharné, pour recevoir en retour cris et mépris. »
« Alors je te soutiens », conclut-il en serrant sa main : « L’essentiel, c’est ta santé. »
Le lendemain, elle déposa sa lettre. Le directeur, sans lever les yeux, ronchonna :
« Qu’est‑ce que c’est ? »
« Je vous prie de m’accorder ma démission, » répondit‑elle, imperturbable.
« Comment oses‑tu ? » fulmina-t‑il tout en signant. « Et ne compte pas sur une recommandation ! »
Les deux semaines de préavis lui semblèrent une éternité. Enfin, le jour J arriva : elle remit ses affaires et franchit les portes du bureau pour la dernière fois. Une légèreté nouvelle l’envahit.
À la maison, ses enfants et son mari l’attendaient pour célébrer – un gâteau fait maison, des ballons colorés.
Alena, forte de deux diplômes et de quinze années d’expérience, était convaincue que le marché de l’emploi saurait reconnaître sa valeur. Pourtant, la réalité lui donna une leçon :
Lors de son premier entretien, tout semblait parfait ; l’HR était enthousiaste :
« Quel parcours ! Quinze ans dans la même entreprise, c’est tout un gage de fiabilité. »
« Merci, je donnais le meilleur de moi‑même… »
« Bien sûr. Dites‑moi, vous avez des enfants ? »
Cette question, posée avec une douceur feinte, la fit se crisper.
« Oui, deux garçons, six et trois ans, » dit‑elle fièrement.
Le sourire de l’HR s’effaça, remplacé par un regard froid :
« Ah… nous avons ajouté des déplacements fréquents au profil du poste. Avec de jeunes enfants, c’est… compliqué. On vous recontacte. »
Elle sut à cet instant qu’elle n’aurait jamais de coup de fil.
Le deuxième entretien lui réserva le même sort : accueil favorable, puis l’inévitable question :
« Vos enfants sont jeunes ; ils sont souvent malades, non ? »
Elle bafoua une justification : « Ma mère et ma belle‑mère peuvent garder les garçons… »
« Désolé, mais nous avons besoin d’une personne plus… stable. »
Le troisième fut expédié en quelques minutes. Chaque refus ravivait sa blessure : personne ne voulait d’une maman de deux petits.
Après six mois, les économies fondaient, Sergeï enchaînait les heures supplémentaires. À la maison, l’atmosphère devenait électrique.
Un samedi, Nadejda Petrovna déboula sans prévenir :
« Alena, excuse ma franchise, mais ça ne peut pas continuer. Pourquoi as‑tu démissionné ? Tu aurais dû prendre ton congé parental ! »
« Maman, ce n’est pas possible », rétorqua Sergeï. « Elles parlent de pré‑infarctus, stress et tout le reste ! »
« Ah, ces états de femme… » railla la belle‑mère.
Alena, au bord des larmes, intervint :
« Je cherche du travail chaque jour, mais dès qu’ils apprennent mes enfants, ça échoue. »
Nadejda souffla et fila sans un mot de plus.
Un soir, Natasha, une amie, l’invita à envisager des cours de comptabilité et de 1C en ligne. Trois mois de formation pour quarante mille roubles : une somme considérable.
Pourtant, poussée par une petite voix intérieure, Alena emprunta, emprunta encore, et s’inscrivit. Elle étudiait tard la nuit, en silence, sous le regard inquiet de Sergeï :
« Tu sembles épuisée… »
« C’est rien, juste un peu de fatigue. »
La belle‑mère, elle, ne se priva pas :
« Encore un gadget ? Sur quel compte as‑tu trouvé ça ? »
« C’est l’ancien de Sergueï, pour regarder des films. »
« Films… et le travail ? » raille-t‑elle.
« Bon, si tu ne peux rien dire de gentil, tais‑toi », s’énerva Sergeï.
Trois mois plus tard, Alena obtint son certificat avec mention : une nouvelle qualification en poche.
À présent commençait la phase cruciale : décrocher un poste. Le premier coup de fil la conduisit vers une petite entreprise de BTP recherchant un comptable à mi‑temps, en télétravail. Entretien en ligne, tout se passa bien :
« Quand pouvez‑vous commencer ? »
« Dès demain ! » s’exclama‑t‑elle, radieuse.
Sa première paie – quinze mille – lui parut une aubaine. Rapidement, d’autres propositions arrivèrent ; à la fin du mois, elle gérait déjà trois clients pour plus de cinquante mille de revenus.
« Sergueja, regarde ! »
« J’ai toujours cru en toi », lui dit-il en l’embrassant.
Elle organisa son emploi du temps : jours de jardin d’enfants pour la charge principale, soirées pour boucler les dossiers. Pas de pression, pas de patron sur le dos.
Au bout de trois mois, le nombre de clients avait doublé et son revenu dépassait cent mille. Tous ses emprunts étaient remboursés et il restait même un peu d’épargne.
Un nouveau salon flambant neuf trônait dans le salon : cadeau qu’elle s’était offert. Lorsque Nadejda Petrovna le découvrit, elle demeura muette de surprise :
« Où as‑tu trouvé l’argent ? »
« En travaillant, maman. Maintenant je suis comptable à distance. »
La belle‑mère, déconcertée, se contenta d’un maigre « Félicitations ».
Sergeï, ému, s’approcha et murmura :
« Je suis fier de toi. Tu n’as jamais baissé les bras, même quand tout te poussait à abandonner. »
Alena, quarante ans, deux enfants, renaissait enfin : libre, épanouie et assurée qu’à force de persévérance, aucun obstacle n’est insurmontable. »