Anya sortit du bâtiment de bureaux en poussant un soupir. Quelle journée infernale ! Fallait-il vraiment que ces rapports la retiennent aujourd’hui ? Elle aurait tout à fait pu les terminer demain. Comme la journée avait été stressante, elle décida de faire un saut dans son petit café habituel. Elle s’imaginait déjà dégustant une salade grecque, sirotant un café, et laissant les soucis s’évaporer, ne serait-ce qu’un instant.
En entrant, le café était presque vide. À peine eut-elle franchi la porte et se fut-elle dirigée vers sa table habituelle pour enfin commander son assiette que son regard se figea. Son mari ! Serge était là, installé à une autre table, en compagnie d’une inconnue.
Anya resta figée, comme si on l’avait aspergée d’eau glacée. La jeune femme aux côtés de Serge semblait tout droit sortie d’un magazine de mode : une blonde platine, robe ajustée, bijoux clinquants, maquillage impeccable. Leur conversation était animée : Serge parlait, elle riait en lui effleurant la main.
Le cœur d’Anya se serra : alors voilà ? Elle sentit la honte lui monter, prête à bondir pour confronter les deux, secouer les révélations à grand renfort de pistaches et de cris, façon cinéma… mais elle se retint : ce serait trop facile.
Elle recula d’un pas, réfléchissant à une meilleure stratégie. Elle déciderait de jouer la comédie.
Choisissant un autre coin du café, elle s’assit de sorte à bien voir le duo. Elle commanda sa salade et un café, mais ne toucha à rien. Sortant son téléphone, elle composa le numéro de Serge. Le mobile sonna sur sa table ; Serge jeta un coup d’œil, puis désactiva la sonnerie. Anya esquissa un sourire froid : pas pressé, hein ?
Elle les observait, notant chaque geste : Serge se pencha vers la blonde, lui murmurant quelque chose à l’oreille ; elle étouffa un rire, dissimulant sa bouche sous la main. Étincelait au doigt de la blonde un imposant diamant.
Le cœur d’Anya battait la chamade. « Reste calme », se répétait-elle en triturant sa serviette.
Des souvenirs lui passaient par la tête : leur première rencontre, les rendez-vous maladroits, les aveux d’amour. Tout un tissu de mensonges ? Il la trompait ? Elle serra les dents et continua d’espionner, se persuadant que cette femme n’était qu’une collègue… mais trop impeccable pour être innocente.
Soudain, un autre homme passa près d’elle : grand, séduisant, barbe naissante, l’allure d’un mannequin publicitaire. L’idée lui traversa l’esprit : et si…
— Excusez-moi, appela-t-elle.
L’homme stoppa son pas, la jaugea et s’approcha.
— Oui ? demanda-t-il.
— J’ai une requête… un peu folle, admit-elle. Pourriez-vous m’aider à jouer une petite scène ? Voyez-vous là-bas mon mari ? expliqua-t-elle en désignant Serge. Il… semble me tromper. J’aimerais qu’il ressente ce que je ressens.
L’homme réfléchit un instant, puis sourit :
— Pourquoi pas ? dit-il en s’asseyant face à elle.
— Je m’appelle Anya, dit-elle avec un sourire forcé.
— Moi, c’est Igor, répondit-il.
Le cœur d’Anya sombra, mais elle garda contenance. Elle jeta un coup d’œil discret vers Serge : il avait capté leur présence, l’air surpris, puis se ravisa, feignant l’indifférence. Anya retourna son attention sur Igor, jouant le jeu : penchant la tête, riant aux bons moments.
Serge, visiblement mal à l’aise, tapotait nerveusement la table, lançant des regards entre la blonde et Anya. L’inconnue s’exprima, mais son interlocuteur paraissait désormais détaché.
Anya prit la main d’Igor ; il serra doucement ses doigts. Elle observa Serge : ses yeux trahissaient l’inquiétude.
— Igor, tu es un sacré acteur, chuchota-t-elle.
— Tu le vois, non ? répondit Igor à voix basse. On l’a bien secoué ?
— Oui, ajouta Anya.
Puis elle se leva, prit son bras :
— Allons faire un tour, suggéra-t-elle. Voyons sa réaction.
Ils s’approchèrent lentement de la table de Serge et de la blonde. Juste à leur passage, Anya se retourna vers son mari, feignant l’innocence :
— Oh, salut chéri ! Quelle bonne surprise de te voir ici ! Et qui est cette amie ?
Serge pâlit. La blonde fixa l’époux d’Anya, les sourcils froncés.
— Euh… balbutia-t-il. C’est… une collègue.
Anya haussa un sourcil.
— Ah bon ? Je croyais que tu avais des rendez-vous professionnels aujourd’hui.
Serge grimaça.
— Anya, quel cirque ! s’énerva-t-il. Et cet homme, qui est-ce ? Qu’est-ce que tu te permets ?
— Lui ? hasarda-t-elle. Pourquoi toi tu peux t’amuser à droite à gauche et moi non ?
— Tu m’as trompé ? cracha-t-il.
— Oui, répondit-elle en relevant le menton. Je voulais te faire mal.
Igor, mal à l’aise, se leva :
— Je crois que je vous laisse régler ça, balbutia-t-il en s’éclipsant.
Serge jeta quelques billets sur la table.
— Bravo, soupira-t-il, et sortit.
Anya prit son téléphone et appela une collègue pour qu’elle la couvre auprès du patron, puis rentra chez elle. Elle ouvrit la porte : Serge était assis sur le canapé, d’un calme surprenant.
— Anya, dit-il, les yeux emplis de douleur. Tu m’as vraiment trompé ?
Son regard était si sincère qu’elle s’assit à ses côtés et souffla :
— Non. J’ai rencontré cet homme pour la première fois aujourd’hui. Tu m’as révoltée, alors j’ai voulu te faire souffrir.
Serge passa la main dans ses cheveux.
— C’était stupide, reconnut-il. Je comprends ma bêtise. Pardonne-moi : je n’aurais jamais dû accepter cette rencontre. Entre nous, il ne s’est rien passé.
Anya se blottit contre lui.
— Promets-moi de ne plus jamais me mentir.
— Je te le promets, murmura-t-il en l’embrassant sur la tête. Pardon, fille stupide.
Il la serra fort, et Anya sentit enfin retomber la tension. La blonde lui restait en travers de la gorge, mais la peine de son mari semblait sincère : c’était l’essentiel.