Doña Rosa avait déjà 70 ans. Elle vivait avec son fils aîné, Javier, et sa femme, Patricia, dans une maison spacieuse et bien située au centre de Guadalajara. La journée, elle s’asseyait sur le perron pour regarder passer les voitures et bavarder parfois avec les voisins. Tout le monde pensait qu’elle menait une vie paisible et heureuse. Mais derrière les portes closes, la réalité était bien différente.
Sa belle-fille, Patricia, fronçait souvent les sourcils en murmurant que la vieille dame « n’était qu’un fardeau », qu’« à son âge, elle ne servait plus à rien ». Javier, absorbé par son travail et ses affaires, se taisait et laissait passer ces remarques. Rosa avait envisagé de partir à plusieurs reprises, mais son amour pour son fils et ses petits-enfants la faisait tenir.
Une nuit, Rosa surprit une dispute du couple dans le salon :
— « Si ta mère reste ici, qui paiera la maison de retraite plus tard ? Tu dois te décider maintenant ! »
— « On pourrait vendre le terrain à Tonalá, celui dont elle s’occupe tant, et utiliser cet argent pour subvenir à ses besoins. »
En entendant cela, Rosa sentit son cœur se briser. Ce terrain était sa maison d’enfance et l’héritage qu’elle souhaitait laisser à ses enfants. Elle n’aurait jamais imaginé qu’ils n’y verraient que de l’argent.
Cette même nuit, vers deux heures du matin, elle prit une décision : s’enfuir. La porte d’entrée étant verrouillée, elle n’eut d’autre choix que de se diriger vers le mur du fond. Avec les quelques forces qui lui restaient, elle grimpa tant bien que mal. Ses mains tremblaient en s’agrippant aux planches, ses genoux saignaient en frottant le bois ébréché, mais elle ne s’arrêta pas.
Elle ne savait pas où aller ; elle savait seulement qu’elle devait quitter cet endroit qu’elle avait autrefois appelé « maison ».
Le destin lui joua un mauvais tour : à ce moment précis, un voleur rôdait dans la rue. En voyant la vieille dame, il tenta d’arracher le sac qu’elle serrait contre sa poitrine. Rosa tomba au sol, terrifiée, quand soudain un faisceau de lumière l’illumina : c’était Don Manuel, son voisin chauffeur routier, qui partait tôt au travail.
Don Manuel accourut, mit le voleur en fuite et aida la vieille dame à se relever. Lorsqu’il lui demanda ce qui n’allait pas, Rosa ne put que pleurer et dire :
« Je n’ai plus de foyer, mon fils… Ils ne veulent plus de moi là-bas. »
Ému, Don Manuel la ramena chez lui pour qu’elle se repose.
Le lendemain matin, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans tout le quartier. Les voisins allèrent réprimander Javier et Patricia. Javier, honteux, courut chercher sa mère en la suppliant de revenir. Mais Rosa, en larmes, dit toute la vérité devant tout le monde : les insultes de sa belle-fille, l’indifférence de son fils et la douleur d’avoir entendu qu’ils envisageaient de vendre leur terrain pour payer une maison de retraite.
Un silence s’abattit. Beaucoup ne purent retenir leurs larmes. Javier s’agenouilla, repentant, implorant pardon d’être resté silencieux si longtemps. Patricia gardait la tête baissée, incapable de soutenir le regard des autres.
Cette histoire bouleversa tout le voisinage. Personne n’aurait cru qu’une mère, après avoir donné toute sa vie pour ses enfants, en viendrait à escalader un mur au milieu de la nuit pour fuir sa propre maison.
Finalement, Javier prit une décision : ramener sa mère à Tonalá, lui reconstruire une petite maison sur son terrain et s’occuper d’elle personnellement. Il promit de ne plus jamais l’humilier.
Ce fut alors que Doña Rosa retrouva un sourire apaisé. Et cette nuit où une femme de 70 ans a escaladé un mur devint pour tous une douloureuse leçon : la vraie gratitude filiale ne se mesure pas aux belles paroles, mais au traitement quotidien réservé à ses parents.